Deux ans après la capitale culturelle 2013 : qu’en reste-t-il ? (26/9/2015)

TUNNELS 088

Quels impacts de Marseille-Provence Capitale de la Culture 2013 sur la ville…


La séance s’est déroulée en deux temps :

  • Un bilan qualitatif et une rapide analyse de MPCC2013 à partir des contributions de l’équipe d’étudiants-chercheurs de Sylvia Girel et de Nicolas Maisetti (Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme) sur la gouvernance de l’événement, suivi d’une séance de questions .
  • Une intervention de Ben Kerste, doctorant en sociologie, sur les milieux alternatifs à l‘événement « Marseille Capitale Européenne de la Culture 2013 », suivi d’une séance de questions

Intervenants


    • Maria Elena Buslacchi, étudiante de l’équipe de Sylvia Girel (Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme)
    • Nicolas Maisetti (chercheur en sociologie, MMSH)
    • Ben Kerste ( doctorant en sociologie, MMSH)

Regard sur la rencontre :

Maria Elena Buslacchi :

Texte non communiqué.

Nicolas Maisetti : Quel bilan deux ans après 2013 ?

Je ne parlerai pas du bilan « culturel », qui fait l’objet d’une présentation par les collègues du programme PP-MP2013. Je ne parlerai pas non plus du bilan « économique per se », c’est-à-dire des chiffres pouvant illustrer une rentabilité commerciale de l’opération. Il existe diverses études qui « déposent le bilan » de l’opération. Deux problèmes de méthodologie sont soulevés par ces études : elles sont le plus souvent menées par les structures qui ont conçu et produit l’opération, et englobent un certain nombre de chiffres qui posent questions (controverses autour des « visiteurs » uniques). On peut cependant dire que les chiffres magiques de 1 € investi pour 6 € de retombées, puis 10 millions de visiteurs, n’auront pas été atteints ; et que l’opération s’est soldée par un trou de 3 millions d’euros, si l’on en croit le propre de bilan de la CCI (où sont-ils ? des nouvelles ?). Contrairement à ce qui est souvent avancé par les acteurs impliqués, ces résultats bruts ne me semblent pas l’essentiel, parce que ce n’est pas ici que se trouve le cœur de l’instrumentalisation de la culture par les acteurs de marché, que ce soit les pouvoirs publics ou les entreprises privées (et les organisations qui les représentent). Parler de bilan « politique » de MP2013, c’est précisément prendre au sérieux les ambitions et principes de départ, qui étaient de se saisir de l’opération comme «  politique structurante », débordant le strict secteur culturel (subventions à des artistes ou à des équipements culturels) pour toucher à des enjeux plus larges : ceux de la politique des transports, du développement économique, de l’attractivité, du marketing territorial, et bien sûr du tourisme. Je m’en tiendrai donc à un bilan « politique », au sens de l’héritage politique et institutionnel de MP2013 et au regard de son objectif en termes de gouvernance métropolitaine : celui de créer un acteur collectif et de progresser dans sa fabrique institutionnelle au service des performances économiques du territoire (puisque l’absence d’intégration est perçue comme un frein à la croissance économique du territoire, à sa compétitivité et à son attractivité internationale). On peut relever quatre enjeux qui ont été soulevés à travers l’opération culturelle, qui ont constitué des objectifs ou des motifs d’action.

  • La question de la métropole et l’enjeu de la coopération politico-institutionnelle sur le territoire Le 1er janvier 2016, au grand dam de Maryse Joissains, Maire d’Aix-en-Provence, la métropole Aix-Marseille-Provence existera. Elle remplacera les six EPCI (établissement public de coopération intercommunale) du département, qui recoupent peu ou prou les collectivités membres du Conseil d’Administration de MP2013. L’opération a-t-elle constitué un test (réussi ?) pour l’intégration métropolitaine ? Inutile de retracer le débat : les oppositions entre Aix-en-Provence et Marseille, ou entre Marseille et les petites communes aux alentours. Rappelons simplement la peur, d’un côté, d’une « mainmise de Marseille sur le destin des petites communes », qui s’ajoute au discours désormais traditionnel des élus aixois : « on ne veut pas payer pour les pauvres ni pour les délinquants des quartiers nord ». De l’autre, on entend le sempiternel couplet sur le « partage des charges de centralité » qui vient en appui à l’injonction à la compétition internationale des territoires, et qui consiste à dire qu’il faut être plus gros pour « rayonner » et être « attractif » : en somme, atteindre un seuil critique permettant une capacité d’action suffisante. De ce point de vue MP2013 a constitué une opération test, une préfiguration d’un projet métropolitain (quand j’ai demandé, en l’espèce, à un membre d’Euroméditerranée, ce qu’est un « projet métropolitain », on m’a répondu : « c’est un courrier co-signé par le maire de Marseille et la maire d’Aix-en-Provence). Et de fait, l’opération a instauré des habitudes de coopération et surtout contraint au portage d’un projet commun. Mais on n’a pas vu l’émergence du « jouer collectif » au sens de l’unification des intérêts, de leur représentation et de leur défense. Au contraire, sur les enjeux financiers, par exemple, chaque collectivité a défendu pied à pied le principe de « répartition proportionnelle », qui voulait que la participation financière de chacune des collectivités soit fonction de ses retombées pour ces collectivités. Ce principe était à rebours de toute l’ambition de l’opération, qui visait à mutualiser les coûts et les bénéfices et à faire en sorte de raisonner à une échelle territoriale élargie et non plus par collectivité. Cet échec dans le saut scalaire est non seulement le plus frappant du bilan de MP2013, mais aussi le plus inquiétant pour la métropole qui va s’instaurer. Inquiétant pour les partisans d’une intégration métropolitaine, s’entend ; et plutôt encourageant pour ses pourfendeurs. C’est peut-être un autre débat : pour ou contre la métropole… mais le recul sur l’année Capitale nous montre comment le débat métropolitain se pose au moment où elle se crée. La question des rapports entre acteurs publics et privés
  • Deuxième enjeu, deuxième question : celle des rapports entre pouvoirs publics locaux et entreprises locales, et en particulier la CCI, même si on peut se demander si elle est représentative du patronat local. MP2013 s’est retrouvée en situation de renverser la manière dont on produit des politiques publiques, en remplaçant les instruments du gouvernement public (allocation de ressources via un processus de distribution de subventions à des acteurs, des lieux ou des équipements) par des dispositifs de gouvernance privée-publique. On le voyait dans les porteurs initiaux de l’opération : Mécènes du Sud, la CCI autour de la nouvelle équipe de Jacques Pfister. Aussi par les objectifs portés par la démarche et le club Ambition Top 20. Et enfin par les outils mobilisés : lobbying, marchandising, road show, campaigning, marketing, etc. On le voyait dans le leadership : Jacques Pfister, président de la CCI, et Bernard Latarjet avec sa notoriété nationale ou parisienne, et sa légitimité technique qui lui a permis de gérer les ressources humaines en toute indépendance. Egalement dans la gouvernance, au sens du pilotage : « une collectivité, une voix » au sein du conseil d’administration, qui neutralisait les rivalités ainsi que les forces politiques. Mais, comme j’essaie de le montrer dans mon dernier article, les élus ne sont pas allés jusqu’à remettre les clés du pouvoir local au patronat. Le siège de la décision s’est dilué, mais ne s’est pas déplacé. Le politique est intervenu comme une source de perturbation, de pollution, dans le jeu bien établi par les entrepreneurs privés. On se souvient des rivalités entre Aix-en-Provence et Marseille, le chantage de Maryse Joissains en décembre 2010 [entre sa participation à MPCC2013 et le siège de la fusion des trois universités], la polémique du guichet unique en mars 2011, la pression sur l’équipe opérationnelle dans la phase de programmation, les tensions autour du budget et du déficit. On aurait pu assister à un retour des « vieux démons politiques marseillais » (citation d’un patron impliqué) si, au moins, ils étaient partis. Mais ils ont toujours été là. L’une des questions que pose cette non-disparition du politique et son cortège de conflits, c’est la question démocratique. Au fond, on ne peut pas se réjouir d’un gouvernement des entreprises, non soumis à la délibération publique. Les politiques locales devraient pouvoir continuer à faire l’objet de choix collectifs, dont les élus sont supposés être les garants. La pollution politique dénoncée par les acteurs privés et certains responsables de MP2013 n’est rien d’autre que l’expression de la démocratie. Ou alors, on ne croit plus que les élus sont supposés représenter les citoyens ; et, comme pour la question métropolitaine, c’est un autre débat. La question de la fonction des grands événements et de la focale touristico-croisiériste dans la production de Marseille
  • Troisième grande question : la fonction des grands événements dans la fabrication de Marseille. Par « fabrication », j’entends la manière de concevoir l’action publique et les modalités de construction physique de la ville. De même qu’Euroméditerranée a ouvert l’ère des projets urbains à Marseille, MP2013 a ouvert l’ère des grands événements. Il y a bien eu auparavant la Coupe du monde de football en 1998, qui avait montré à l’appareil politico-administratif local et aux entreprises, tout le chemin à parcourir en termes d’équipements hôteliers et d’infrastructures d’accueil. Il y a eu la candidature ratée de la Coupe de l’America en 2004, que la CCI interprète comme le résultat du pilotage par la bureaucratie municipale. Cet échec lui donne un argument pour revendiquer et occuper le leadership. Il y a eu également le Forum mondial de l’Eau porté par le Conseil du même nom, faux-nez de la politique d’attractivité municipale pour attirer des organisations internationales. Mais, me semble-t-il, c’est l’opération Capitale qui est pensée comme le jalon de l’évènementialisation des politiques urbaines à Marseille. D’autant plus que l’année 2013 est aussi celle de l’accueil du millionième croisiériste. Ce qui n’a pas tellement à voir avec l’opération culturelle, ni même avec un investissement particulier de la ville ou du Port, mais plutôt avec l’évolution du marché de la croisière et de la position de Marseille en Méditerranée. Ces deux événements coïncident et il s’agit de mettre la ville en chantier, non pas tellement pour les habitants, mais en vue de l’accueil des touristes et des visiteurs, et ainsi de se doter d’infrastructures et d’équipements capables d’être plus attractifs pour des cibles qui pourraient durablement s’installer à Marseille (en particulier, les cadres supérieurs). Tout ça n’est en rien propre à Marseille, puisque c’est la tendance générale des politiques urbaines qu’on appelle « entrepreneuriales ». Ce qui est remarquable ici c’est de voir à quelle vitesse elles sont apparues, et comment elles se sont heurtées à toute une série de résistances, en tous cas de controverses et de débats (cf. intervention suivante de Ben Kerste). La question du statut de la Méditerranée dans la manière de raconter l’action publique (et donc de la faire)
  • Dernière question : Quid de la Méditerranée ? Elle était le point structurant de l’année Capitale, placée sous le patronage de Camus. Elle permettait de mettre en récit l’opération. Comme disent les géographes critiques « les histoires de régénération urbaine commencent avec la poésie et se terminent avec la promotion immobilière ». Et ici, cette poésie, c’était Braudel, Camus, Témime (le « rêve méditerranéen » dans les années 1930). Plus généralement, c’est ce que j’avais essayé de voir dans la thèse, le récit méditerranéen parvenait peu ou prou à donner une cohérence stratégique à un certain nombre de politiques, en particulier celles tournées vers l’international. Seulement les crises en Méditerranée se sont multipliées : tensions à Gaza, révolutions arabes, et plus récemment crise des réfugiés. À chaque fois, les pouvoirs locaux (publics et privés) se sont trouvés dans l’incapacité de dire la Méditerranée dans la crise. Et c’est le récit qui est tombé en crise. Aujourd’hui le silence des politiques est navrant.

Pour l’opération Capitale, on se souvient du problème de visa pour les artistes, en particulier ceux qui devaient participer aux Ateliers de la Méditerranée. On se souvient aussi de la polémique autour de l’exposition consacrée à Albert Camus, des positions de Maryse Joissains récusant Benjamin Stora, de Michel Onfray débarquant, des ayant-droits de Camus au milieu, et d’une exposition réduite à un format qui n’avait rien à voir avec l’ampleur de l’ambition de départ. À l’image de la trajectoire du récit méditerranéen. Et ce qui marque aujourd’hui, c’est le silence des pouvoirs locaux à l’égard des révolutions, puis des réfugiés. Ce qui marque aussi, quand on parle avec certains élus, fonctionnaires, experts du développement local, c’est l’expression d’un ras-le-bol à l’égard de la Méditerranée, présentée comme : « Vauzelle contre la réalité » (la critique de la Villa n’est parfois pas loin, surtout chez certains élus). Je me souviens des propos d’un acteur culturel qui, en 2007-2008, me racontait la manière dont la Méditerranée faisait l’objet de discours et de prises de positions militantes dans les années 1930. Et l’euphorie des années 2000 y ressemblait un peu. Tout était tourné autour de ce mot d’ordre, même s’il était très flou et que tout le monde pouvait y mettre ce qu’il voulait ; il présentait l’intérêt, pour certains d’entre eux, de ne pas dire « arabe ». Aujourd’hui la réalité est toute autre, et l’on sait que les marchés tant recherchés sont en Chine, et pas à Marseille.

Le débat est ouvert :

Le financement de MPCC2013

Reine P. demande des précisions sur les financements. Il faut savoir que sur les 91 millions d’euros de coût de fonctionnement de la capitale culturelle pendant l’année (personnel et spectacles) :

  • 12,80 millions ont été financés par l’Etat (soit 13.8%),
  • 2.78 millions par l’Europe (soit 3%), le reste faisait partie des financements de droit commun, comme la politique de la ville par exemple, et c’est ce qui a fait polémique.
  • 15.7 millions ont été financés par la Ville de Marseille (soit 16.9 %)
  • 12.8 millions ont été financés par le Département (soit 13.8 %)
  • 12.8 millions ont été financés par la Région (soit 13.8 %)
  • 7.1 millions ont été financés par la ville d’Aix et la CPA (soit 7.6 %)
  • 5.26 millions ont été financés par les 6 autres collectivités (soit 5.7%)

Des financements privés pour le reste

L’exclusion de la DRAC

Claude précise que la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) était très volontaire mais s’est sentie exclue de la programmation. Cela pose la question des traces qui prolongent les actions des différentes gouvernances. Réponse de Nicolas Maisetti : pour Lille, le prolongement s’est effectué par « Lille 3000 ». « Le voyage qui poursuit et approfondit le dynamisme de Lille 2004 » a aussi ses détracteurs. Pour certains, ce serait un gouffre financier, pour d’autres une opération commerciale sans réelle portée culturelle. Pour Marseille, il y a eu « Marseille 3013 » : de la critique au prolongement, établie par l’équipe du « Off » qui a tenté de conserver le bouillonnement, et qui s’est installée rue de la République en juin dernier.

L’opposition démocratique…

Tout ceci est très différent de la mission Théry (mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence). Et des différents bilans produits par l’Office du Tourisme. Je travaille dans la direction des affaires culturelles d’une petite commune. Je peux vous affirmer que les fortes oppositions ont gêné le travail des techniciens, il est vrai que ce n’était pas dans les mœurs de Bernard Latarjet. Je prends l’exemple des Ateliers de l’Euroméditerranée, qui organisaient des résidences d’artistes en entreprises, idée très intéressante mais il est dommage que les politiques aient bloqué ce processus en réduisant la notion d’intérêt général (social ou environnemental) à leur petit territoire. Que portent Marseille et le territoire de la Provence, entre instrumentalisation politique et opposition démocratique ? Réponse de Nicolas Maisetti : Bernard Latarjet est arrivé avec la réputation du « super ministre territorial de la culture » et ça n’a pas plu, car les collectivités se sont senties privées de leurs moyens. La mission Théry essaie de mettre en place des « chantiers » de réflexion, mais les collectivités ne veulent pas en entendre parler. La violence des propos contre Théry est impressionnante, il y a beaucoup de mépris !

La culture sert-elle à la démocratie ?

Christophe indique que « la culture sert à la démocratie ». La crise du récit méditerranéen montre ça aussi (Université d’été du Front national, fort pourcentage du vote FN dans la région, etc .) : cette question est-elle apparue dans vos travaux ? Réponse de Nicolas Maisetti : les pratiques culturelles sont excluantes, il faut un tel bagage, un tel apprentissage pour s’y fondre. Cela pose toute la question de la démocratie culturelle. Comment fait-on pour faire venir un ouvrier au théâtre ou au concert ? On en parle depuis Malraux et Lang, on ne s’en sort pas de cette question. Et oui, on peut dire aussi que la culture est un facteur d’exclusion.

Il y a urgence à construire un vrai discours politique …

Pierre-Alain précise que la culture n’est pas ramenée seulement à l’art. Les enjeux de MPCC2013 ont été d’accompagner la transformation des territoires, de la population, des dirigeants. Depuis des décennies la culture démocratique est absente, et MPCC2013 a révélé ceci. Laisser aux entreprises la capacité de décider, révèle une impuissance politique : c’est grave ! Il faut savoir nommer qui est politique, qui sait transformer son propre métier, son quartier, son administration. A Vitrolles il y avait le projet de Gabi Farage : la culture de l’impensé. J’avais un espoir lorsque l’Etat est intervenu en septembre 2012. Mais en vain : l’Etat a imposé la métropole de la pire des manières. Oui, il y a urgence à construire un vrai discours politique, et des alliances avec les acteurs de la transformation.

La convention de Faro

Alain rappelle que le numéro 10 de la revue « FAIRE SAVOIRS » traite déjà largement de ces questions. Il est en accès libre sur le site Faire Savoirs, à condition de s’inscrire, gratuitement comme abonné à la revue. Et peut-être que Pensons Le Matin devrait développer des balades urbaines et patrimoniales « hors les murs » et évoquer la convention-cadre de Faro.

Construire un sens commun…

Patrick résume le propos en affirmant que MPCC2013 n’a pas permis de construire un sens commun, contrairement à l’injonction de l’Etat. C’est comme la construction métropolitaine, il y a absence de sens. Big is beautiful, c’est tout. C’est la recherche fantasmée de la ville mondiale, de la « ville-monde » comme on dit si bien. Et la logique continue avec 2017, ou bien les JO de 2024. C’est le recul des ambitions initiales de la métropole, qui n’a pas de compétence culturelle. Ecoutez l’interview de Dominique Bluzet, directeur des Théâtres du Gymnase, des Bernardines, du Jeu de Paume et du Grand Théâtre de Provence, qui se félicite que Maryse Joissains transfère la gestion du théâtre à la commune. A Marseille, les « acteurs dormants » comme le front de mer, ou le MuCEM, sont là pour les intérêts de la promotion immobilière. Molly considère que ce raccourci est injuste… …Et André J. affirme qu’il n’y a aucun rapport entre le MuCEM et MPCC2013. Pour produire le MuCEM il a fallu contourner la loi MOP qui régit l’intervention de l’architecte dans le contexte de la commande publique, afin d’équilibrer les transferts d’argent. Les fondations du MuCEM étaient déjà bâties en 2013. Gaudin a raconté cette rumeur qui est une invention. Le seul objet construit grâce à MPCC2013 est le Fort Saint-Jean, avec beaucoup de succès, qui accueille une foule variée et multiple qui « s’étonne du beau » autour d’un objet de « minimalisme baroque » : la balade est magique.

Sur quelques points développés par Nicolas Maïsetti :

A la remarque de Nicolas Maïsetti: « il y a peu d’intérêt de la part du politique pour la Méditerranée en ce moment » , Molly fait remarquer que, même si c’est vrai, le MuCEM (avec expositions, conférences, séances de cinéma) et le milieu culturel et associatif (Théâtre, danse, Rencontres d’Averroès et autres acteurs de terrain) permettent de maintenir les liens entre les deux rives de la Mer Méditerranée. Autre remarque: »le silence des politiques est navrant à propos des réfugiés ». Cependant, le 14 septembre 2015 Michel Vauzelle a convoqué une plénière extraordinaire du Conseil Régional à laquelle il a invité les maires des communes souhaitant accueillir des réfugiés,et les associations s’occupant de ces questions là. Il a fait voter une enveloppe exceptionnelle de 3 millions d’Euros…. Enfin Molly reprend une autre remarque de Nicolas Maïsetti: «la culture est facteur d’exclusion», pour faire part d’une expérience en train de se mener dans le quartier de l’Estaque, un des bidonvilles dont il sera question dans le film « Bidonville, architectures de la ville future » de Jean-Nicolas Orhon projeté par Images de Ville au Musée d’histoire le 21 novembre. A partir de l’existence d’une maquette de ce bidonville (ilôt Chieusse-Pasteur, du nom des rues qui le bordaient) s’est développée une collecte de récits relatant son histoire ancrée dans l’histoire de l’industrie marseillaise, une récolte de documents photographiques. Cet ensemble de documents va trouver place dans une exposition au Musée d’histoire de Marseille au mois de décembre 2015. Je posais donc la question suivante qui me taraude pendant les rencontres de Pensons le Matin : peut-on produire par les moyens évoqués ci-dessus une culture qui ne soit pas excluante, et plus généralement, qu’est-ce qui constitue un patrimoine ?

Ben Kerste : Quels impacts de MPCC2013 sur la ville… ?

Tout d’abord la Capitale de la Culture 2013 n’est pas qu’un simple événement culturel, mais elle dépasse le cadre événementiel tant au niveau du temps que de ses enjeux. Elle s’inscrit dans un processus de transformation urbaine. Cependant la question est d’importance : quelle ville pour quelle population ? La ville en général et le centre-ville en particulier se laissent décrire sociologiquement comme des lieux de différences et de divergences (populations, classes sociales, intérêts, style de vie, besoins, etc.). Ce sont ces divergences et la pénurie des ressources (d’espace, d’argent public, etc.) qui font historiquement de la ville un lieu de conflits, encore aujourd’hui. Si MPCC2013 a été un événement majeur d’une stratégie de promotion urbaine, avec l’objectif de créer et d’afficher du consensus politique et de la capacité collective de gestion du projet, le contraire est aussi vrai : l’attention médiatique et le rôle stratégique de cet événement donnent des pistes propices à ceux qui veulent contester les transformations urbaines dont cet événement fait partie. Et ceci, à la fois en matière de visibilité, de médiatisation, d’identification des causes communes et de mise en place des démarches collectives de contestation. Au cours de l’année 2011, quand je suis arrivé à Marseille, a été organisée par les milieux contestataires une journée d’investissement de l’espace public, sur le Cours Julien, soigneusement préparée par une soixantaine de personnes qui voulaient critiquer MPCC2013 comme culture « qui vient du haut », et qui cherche à évincer la vie associative et des cultures populaires. La mobilisation a été assez limitée, et les acteurs de cette mobilisation qui parlaient de « nous », d’une « ville populaire », étaient principalement des gens entre vingt et trente-cinq ans issus de la classe moyenne à haut capital culturel. En tant que sociologue je posais l’hypothèse suivante : pour donner du poids à sa critique et à ses propositions alternatives, la contestation nécessite, d’une part, de la visibilité et, d’autre part, de la continuité (on parle des processus), ainsi que de la coopération et d’un partage des compétences entre acteurs, des savoir-faire, des ressources et des contacts. Les milieux contestataires rassemblent une multitude de profils sociaux, de pratiques militantes, de valeurs et d’intérêts, de revendications, de stratégies et de buts. Ainsi, l’ensemble des acteurs « contestataires » augmentent proportionnellement leurs moyens en visibilité, en légitimité et en poids, s’ils parviennent à surmonter leur caractère éclaté et divisé, partiellement ou temporairement. Mes terrains d’observations ont été les suivants : le Carnaval auto-organisé de la Plaine et de Noailles, le milieu « autonome », le festival « Paroles de Galères », les débats de Pensons le Matin et l’initiative de l’Atelier Feuillant. Je constate alors, malgré des différences et des divergences exprimées, des intérêts en commun : l’affirmation et la volonté de maintien du caractère populaire et de la mixité sociale du centre-ville ; l’émergence et le soutien  aux projets localisés qui promeuvent le « faire par soi-même » ; le lien avec le quartier et son histoire ; un contenu culturel et artistique qui dérange, qui met en question, et qui se situe en dehors de la promotion et la valorisation d’un nouveau Marseille ; un regard sceptique ou de rejet d’une culture de masse représentée par MPCC2013, de la privatisation et de l’aseptisation de l’espace public, des discours sécuritaires accompagnés par la mise en place de caméras de vidéo-surveillance … Questionnement : Dans le contexte de MPCC2013, comment se sont exprimés, organisés et fédérés ces groupes, malgré leurs différences ? Autrement dit : quelles ont été la volonté et la capacité collective de dépasser ces différences tout en identifiant et actualisant des points communs ? Les positionnements étaient, de manière générale, du type : «  On était là avant la Capitale 2013, on le sera après ». Autrement dit : « on n’a pas attendu MPCC2013 pour nous organiser, on n’en a pas besoin pour savoir qui on est ». Bien au contraire, des dispositifs de « ville créative » et des phénomènes de gentrification montrent qu’une critique politique et culturellement chargée se laisse intégrer dans l’image d’une ville vivante, cosmopolite et attractive pour des touristes et les classes supérieures. Dans un tel contexte, des tentatives de mobilisation collective, pas seulement du Off ou du Alter-Off, se trouvaient systématiquement confrontées et ralenties par ce genre de craintes et objections. Si ces dangers sont bien réels, le « rien faire » et la mobilisation dans l’entre-soi n’ouvrent pas les pistes nécessaires l’initialisation de démarches alternatives. A mon avis, le danger de l’instrumentalisation de la critique alimente plutôt le défi collectif de trouver des arguments légitimes et convaincants, de développer diverses manières permettant de les faire circuler, et de se faire entendre pour, finalement, créer des contre-pouvoirs et mettre la pression sur les décideurs locaux. Souvent, j’ai constaté que ces acteurs n’ont pas fait face à ce défi. Les raisons en sont multiples, je me contente ici de donner quelques exemples : Le Carnaval de la Plaine et de Noailles est organisé d’une manière indépendante depuis dix-sept ans, et représente une mise en scène populaire de la critique sociale, s’appuyant sur la langue occitane et la culture associative du quartier. Il profite d’une visibilité dans l’espace public et de son caractère convivial et festif pour sensibiliser et mobiliser les « non-habitués ». En outre, ce carnaval montre et conteste l’ambiguïté des discours publics d’une ville qui se présente comme cosmopolite et rebelle et qui, simultanément, se caractérise par des opérations de domestication et de contrôle de sa dimension populaire. Ces milieux contestataires pratiquent un enfermement identitaire en sous-groupes. En conséquence, il y a peu d’engagement ou d’investissement à long terme, peu de coopération entre collectifs, et finalement peu de travail de fond qui aurait pu être enrichi d’analyses sérieuses de données réelles ou de raisonnements convaincants à l’attention de publics élargis. En 2014, le Carnaval déambulait sous le thème de « Marseille Cinq Étoiles » en référence à l’Hôtel Dieu transformé en hôtel de luxe, mais également au projet privé d’un hôtel quatre étoiles dans l’îlot Feuillants à Noailles. Pendant les années 2012 et 2013, l’initiative Atelier Feuillants s’est développée afin de créer une dynamique collective et populaire contre ce projet d’hôtellerie, tout en proposant un projet alternatif, et tout en dénonçant les politiques urbaines marseillaises comme opaques et opportunistes. Des groupes et collectifs qui constituent le Carnaval ne se sont pas associés à ce projet – pour eux, trop institutionnel et trop formalisé. Pourtant, un vrai dialogue entre ces acteurs aurait pu mettre en évidence plusieurs objectifs communs, les sortir de leur isolement, et valoriser leur complémentarité mutuelle quant aux compétences et aux savoir-faire de leurs membres. Si ceux qui gravitent autour de l’Atelier Feuillants apportent du contenu (analyse et connaissance des dossiers, des procédures et des acteurs des politiques urbains), ils peinent à définir des pratiques sociales telles que « comment investir l’espace ? », « comment s’adresser aux habitants ? », « comment mettre en œuvre artistiquement notre critique politique ? » etc. Si je compare les mobilisations marseillaises avec celles de Hambourg, ces dernières doivent surmonter la diversité des positions politiques. L’analyse de leurs discours et de leur travail identifie des thèmes fédérateurs, des valeurs propres, des ennemis communs, perpétuellement identifiés et nommés collectivement. A mon sens, c’est notamment ce « travail de signification » cumulatif qui nourrit sans cesse un cadre collectif de références. Ce cadre assouplit et rend plus solidaires ces acteurs face à des conflits internes, et leur permet, en contrepartie, de mettre en lien des intérêts divers, de canaliser des pensées et des actions envers des cibles partagées. En conséquence, même les médias traditionnels sont obligés d’être le relais de ces revendications. Les élus locaux sont confrontés à leurs demandes. Pourquoi est-ce que l’alternative est bloquée à ce point à Marseille ? Le milieu contestataire y est fragmenté, et peine à partager : c’est ce qui m’interpelle. Il y a beaucoup de savoir-faire, mais le manque de soutien du politique épuise l’engagement bénévole des acteurs alternatifs. Nicolas Maisetti ajoute que la fragmentation et l’absence de convergences des politiques publiques est un reflet de l’exercice politique local : l’un est-il le produit de l’autre ? Et dans quel sens ?

Le débat est ouvert :

Relier avec « les pigeons, les dindons et les profiteurs » … ?

Bernard M reprend le thème du prochain débat de Centre-Ville Pour Tous sur le bilan de la rue de la République, intitulé : « les pigeons, les dindons et les profiteurs ». La rue de la République a été un marqueur dans l’action militante et revendicatrice, MPCC2013 n’a pas généré la même audience contestataire.

L’initiative des acteurs…

Le morcellement du politique correspond aux morcellements des luttes. Beaucoup d’acteurs associatifs sont mis en concurrence. Et dans les quartiers populaires, les gens se détestent ou s’opposent. C’est peut-être une caractéristique du Sud, cette capacité d’empathie sans faire collectif. Avec, toutefois, cette possibilité de transformer un conflit en création, malgré tout. Je pense à Patrick Viveret quand il parle d’incapacité à parler de l’intime, et de reproduction à l’identique des logiques de pouvoir. Cela avance tout de même, il y a espoir, les politiques laissent la place, les acteurs se prennent en charge et n’attendent rien du politique, ils font par eux-mêmes. En novembre l’initiative de la Quinzaine des Convergences, organisée par La Plate-forme, développe une cartographie participative identifiant les acteurs sur le territoire. Voilà les maîtres-mots : hétérogénéité, révéler et interagir.

Apprécier les défauts de son partenaire…

Et Claire A affirme que dans l’union, on apprend à apprécier les défauts de son partenaire. Or les politiques sont sur le repli et le non-partage. Regardez les polémiques sur le J1, sur le FRAC, sur le GR2013 ….




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